Bienvenue à Détroit, la ville la plus peuplée du Michigan et le fief de l’industrie automobile Américaine. Celle qui était autrefois symbole de prospérité et d’emploi figure aujourd’hui dans le top cinq des villes les plus pauvres (de plus de 65 000 habitants) des États-Unis. Nous allons donc voir la situation actuelle de la ville et essayer de chercher des explications à cette descente aux enfers.
Une économie qui tourne au ralenti
Pour replacer le contexte, il est important de rappeler que Detroit est la ville qui a donné naissance à deux géants de l’automobile: Général Motors et Ford. Ces deux poids lourds qui employaient plusieurs centaines de milliers de personnes faisaient la fierté du pays et, surtout, ont fait grimper la population de Detroit. Celle-ci est passée de 285 000 en 1900 à 1 850 000 en 1950. Mais alors, vous vous demandez certainement ce qui a tout fait capoter ? Et bien c’est en grande partie le racisme et la ségrégation, combinés à la mondialisation et à la modernisation des usines. En effet, Detroit dont l’économie dépendait de l’industrie automobile a eu du mal à encaisser l’arrivée de la modernité. En l’espace de quelques années, les grandes usines et les grandes compagnies ont eu la possibilité de remplacer de la main d’œuvre humaine par des machines, ainsi que de déplacer leurs structures dans des pays/états où la main d’œuvre est moins chère. C’est ainsi que durant les années 50, la ville a atteint le cap symbolique de 10% de chômeurs. De plus, monde moderne rime avec facilité de transport et notamment les premières autoroutes. Ainsi, beaucoup de grandes entreprises qui étaient autrefois contraintes de s’installer au cœur de Detroit on pu se délocaliser en banlieue, où elles payaient moins de taxes.
Ajouté à cela le fait que la mairie ait choisi de faire passer l’autoroute en plein milieu des quartiers de Black Bottom and Paradise Valley (deux quartiers réservés à la population afro-américaine). Ce plan de construction d’autoroute a donc causé la démolition de centaines de maisons et de commerces qui permettaient aux familles noires de garder la tête hors de l’eau. Les prix des terrains ont chuté et donc les habitants de ces secteurs se sont retrouvés soit relocalisés dans des quartiers délabrés, soit contraints de rester dans la misère car plus de source de revenu et plus de biens de valeurs. La mairie venait donc de tuer la petite économie qui permettait aux familles afro-américaines de survivre.
En 1967, de violentes émeutes dues au ras-le-bol de la population ont éclaté. Les pillages et affrontements entre la police/l’armée et les manifestants (très majoritairement afro-américains) ont duré 5 jours et ont causé 43 décès et environ 60 millions de dollars de dommages. Cette escalade a provoqué la fuite et la fermeture de milliers de commerces (énormément de magasins avaient été pillés durant le chaos), ce qui a été un vrai coup dur pour l’économie de la ville.
Voici les éléments majeurs expliquant le fait qu’en 2013, la mairie de Detroit a littéralement fait faillite, après avoir accumulé une dette record de 18,5 milliards de dollars. Cette faillite a causé une réduction drastique du budget de la ville et donc on a vu, a plusieurs reprises, la mairie couper l’arrivée d’eau des familles qui ne payent pas leurs factures (chose qui est interdite en France et qui ne se faisait pas avant à Detroit). On sait notamment qu’entre 2014 et 2017, il y a eu plus de 102 000 coupures d’eau.
Une population en chute libre
Plus tôt, on avait mentionné de la ségrégation et du racisme, et bien celui-ci est lui aussi un facteur important dans le déclin de Detroit. En effet, jusqu’en 1948 à Detroit, les noirs n’avaient pas le droit d’acheter de maisons dans les quartiers « pour blancs« . Or c’était dans ces quartiers que se trouvaient les meilleures écoles, les loisirs et les commerces. Les choses ont changé en 1948, quand la justice a tranché et a jugé inconstitutionnelle cette séparation voulue entre les races. Cette annonce a alors provoqué une peur, chez les familles blanches aisées, de devoir habiter entourées de personnes de couleur. Les agents immobiliers qui voulaient aussi profiter de cette situation et faire des affaires, sont allés jusqu’à employer de jeunes enfants américains pour qu’ils aillent faire du porte à porte et qu’ils disent: « C’est le meilleur moment pour vendre votre maison, et vous le savez ». Cette technique a marché puisque en 10 ans, c’est presque 10% de la population de la ville qui a fuit vers les banlieues. Le problème est que les familles aisées blanches avaient des plus gros revenus que les familles afro-américaines (à cause du racisme face à l’emploi) et donc la mairie de Detroit a vu ses revenus baisser considérablement (moins de familles riches = moins de taxes à prélever). Ce cycle est difficile à endiguer puisque moins de taxes égal moins d’argent pour créer des écoles, créer des espaces de loisirs et moins d’aides pour les petits commerces. La suppression d’une partie de ces infrastructures pousse d’autres personnes à quitter la ville…. puis le cycle se répète. C’est ainsi que entre 1950 et 2018, Detroit a perdu pas moins de 1 100 000 habitants.
Cette désertion soudaine a donc créé ce paysage post-apocalyptique si caractéristique de la ville de Detroit. Les quartiers résidentiels autrefois remplis de familles bourgeoises sont rapidement tombés à l’abandon et ont été pris d’assaut par les vendeurs de drogues et les squatteurs. Ces pâtés de maisons vides s’étendent sur des dizaines de kilomètres ce qui rend ces zones encore moins attirantes pour les potentiels acheteurs. C’est pour cela qu’on a souvent vu d’assez belles maisons se vendre pour des sommes dérisoires. La valeur médiane d’une maison à Detroit est de 36 000 dollars, contre 250 000 dollars à Chicago.
Un quotidien gangréné par la violence
Vous vous dites sûrement que la situation est déjà catastrophique et que cela ne pourrait pas être pire ? Et bien détrompez vous car, en plus de ses problèmes économiques et démographiques, Detroit n’arrive pas à se débarrasser de la violence qui règne en ville. En effet, en 2018, Detroit pointait à la 3ème place du classement des taux d’homicides pour les villes américaines et à la 42ème place au niveau mondial. On peut estimer que plus de 65% des homicides sont dus à des affaires de drogue, et qu’environ 70% des meurtres sont non-élucidés. De plus, voyant à quel point le trafic de drogue était lucratif, des dizaines de gangs et de sets se sont installés en ville afin de récupérer leur part du gâteau. C’est ainsi que les Gangster Disciples, les Bloods, les Crips, les Latin Counts, les Vice Lords, les Latin Kings et bien d’autres ont investi la ville. Même si la plupart des meurtres découlent de la guerre féroce du contrôle de la vente de drogue, il n’est pas rare de voir certains se faire tuer simplement à cause de leur affiliation à un gang. Malheureusement pour Detroit, même si elle évite la 1ere place au classement des taux d’homicides, elle s’empare bel et bien de celle-ci pour ce qui est du taux de criminalité. Ce classement, qui prend en compte tous les crimes commis (meurtres, carjackings, vols, agressions, agressions sexuelle, etc…), recense en 2018, 2 007 crimes violents pour 100 000 habitants à Detroit contre environ 1 011 cas à Chicago (et 1 800 à St. Louis).
On ne peut pas accepter ni soutenir les criminels mais il faut quand même reconnaître que parfois on peut comprendre les raisons de cette violence. En effet, avec environ 35% de sa population vivant sous le seuil de pauvreté (en 2018) Detroit est la 3ème du classement des villes de plus de 65 000 habitants les plus pauvres. Ce pourcentage est 3 fois supérieur à la moyenne nationale. Imaginez vous deux minutes grandir dans un environnement tel que celui-ci, entouré de maisons abandonnées, sans eau courante, sans voiture, avec les commerces les plus proches se trouvant à des dizaines de kilomètres, sans argent pour déménager. D’un autre côté, les membres de gang s’habillent en vêtements de luxe et roulent dans des grosses voitures. On comprend que beaucoup soient tentés. De plus, il faut savoir qu’à Detroit, il y a environ 30 000 maisons inhabitées, ainsi que 70 000 bâtiments et 90 000 parcelles à l’abandon. Autant vous dire que ça facilite énormément la tâche des criminels, que cela soit pour cacher un corps, monter une « trap-house » ou même cacher des armes.
Une lueur d’espoir
On ne pouvait pas finir cette analyse sans parler des éléments encourageants quant au futur de Detroit.
En effet, même si la description faite de la ville plus haut est assez terne et malheureuse, je vous assure que tout n’est pas à jeter. Premièrement, on observe depuis plusieurs années une baisse du taux de pauvreté (39% en 2015) ainsi que du nombre de crimes violents (13 796 en 2017 contre 12 939 en 2019). Cette baisse va de pair avec l’augmentation du revenu médian en dollar qui est passé de 26k/an en 2015 à 31k/an en 2018 (revenu médian = la moitié des habitants gagnent plus, l’autre moitié gagne moins). Et même si 2019 a connu plus d’homicides que 2018, cette information est à relativiser puisque 2018 était l’année la plus calme en termes de meurtres depuis les 50 dernières années.
Le 2eme point encourageant est le fait que Detroit attire les jeunes entrepreneurs qui cherchent des zones ayant une assez bonne qualité de vie pour peu cher. En effet, comme expliqué plus tôt, le prix des logements est très abordable, la ville n’est pas bondée, donc pas trop stressante, de plus, il y a de très bons restaurants et des grands commerces en centre-ville. Tous ces points intéressants poussent certains jeunes à tenter le pari de Detroit comme ville tremplin pour leur carrière. Mais, encore une fois, le problème qui se pose est de savoir si Detroit arrivera à convaincre ces jeunes de rester une fois qu’ils auront fondé une famille, qu’ils auront assez d’argent pour déménager et pourront s’installer dans des lieux plus sûrs où leurs enfants auront une meilleure qualité de vie.
Detroit arrivera-t-elle à renaître de ses cendres ou est elle condamnée à rester une ville fantôme que l’on souhaite quitter à tout prix ? Seul l’avenir nous le dira…